Odile Vieilledent – L’Interview GRF

Odile Vieilledent

La première Finisheuse du GRF
Finisheuse du GRF 2023 en 27 h 31 m 49 s (27eme)

Peux-tu nous raconter ton parcours en trail et ce qui t’a poussé à choisir cette discipline ?

J’ai commencé très tôt la natation. Un jour en rentrant en voiture de la piscine avec mes parents j’ai vu des gens courir dehors et j’ai dit « c’est ça que je veux faire comme sport ».

J’ai ainsi débuté l’athlétisme à partir de la catégorie « mini poussine », puis poussine, benjamine, minime, cadette, junior… La discipline que je préférais était les cross. Et je préférais toujours les cross avec de bonnes montées et descentes. J’aimais les entrainements plus longs du weekend … j’aimais aussi la sortie annuelle de mon club où je pouvais faire la course du village (sur route à l’époque) un peu plus longue que les distances habituelles sur piste.

L’hiver et l’été j’allais passer mes vacances en famille dans les Alpes et dès 8 ans j’ai préféré le ski de fond au ski alpin (ce qui était plutôt différent des enfants de mon âge). J’aimais les longues randonnées à ski de fond à la journée ou par demi-journée que ce soit sur des traces ou dans la poudreuse (ce qui ressemblait plutôt à de la marche). Plus tard j’ai goûté à la technique du skating.

L’été j’aimais aussi les randonnées en montagne, je cherchais toujours à monter rapidement en tête et j’attendais les autres en haut.

Je crois que sans le savoir j’avais envie de faire des trails longs et des courses de montagnes.

J’ai fait de l’athlétisme en club jusqu’à 23 ans avec, vers la fin, de nombreuses blessures (tendinites, problèmes musculaires, entorses). J’ai arrêté sur une rupture du tendon d’Achille.

Après l’opération et la rééducation, je n’ai pas repris la course à pied et fait le choix d’avoir des enfants. 

Longue période de 13 ans sans course à pied : 3 enfants en 4 ans avec un papa encore étudiant à leur naissance puis très pris pas son travail, 3 ans de congé parental pour en profiter au maximum et m’occuper particulièrement de ma fille, née grosse prématurée.

En 2003, nous habitions à la Réunion : un matin j’ai vu le tracé d’une course au bout de notre rue dans un champ de cannes à sucre. Je suis allée chez le médecin dans la matinée pour avoir un certificat médical et me suis inscrite l’après-midi. Le lendemain je prenais le départ du « Semi-marathon des cannes » sans aucun entrainement. Nous habitions au milieu du parcours, j’ai dit à mon mari, « quand je passerai devant la maison, si ça ne va pas je m’arrête et si je continue tu viendras me chercher à l’arrivée ». J’ai fini ce semi, trop contente après une si longue pause, même si j’avais mal au dos sur les derniers kilomètres. C’était mon record de distance.

La semaine suivante j’étais inscrite dans un club réunionnais. Pendant 1 an j’ai fait des courses sur route : 10 km, semi, 1 marathon, tour de l’île en relai à 10, des cross aussi.

En 2004, Thierry Techer un copain de mon club qui avait gagné le Grand Raid de la Réunion en 2000 et 2002 m’a dit « demain je viens te chercher de bonne heure pour aller courir ». En fait il m’avait inscrite sans me le dire à ma 1ère course de montagne dans le sud-est de l’île « la course de l’ail » qui part du bord de mer et qui monte par des chemins durant 21 km. En arrivant sur place je lui ai dit qu’il était un « gros malade ». Il m’a conseillé de suivre les autres de « courir quand les autres courent et marcher quand les autres marchent ». J’ai suivi et j’ai adoré ! Ensuite j’ai participé à de belles courses de montagnes sur l’île : la Transdimitile, Trois bassins…

Puis à partir de fin décembre 2005, début d’une période compliquée, sans aucun sport, avec des gros problèmes neurologiques (perte très importante de la vue, douleurs, difficultés pour marcher…). De nombreux examens, hospitalisations, arrêts de travail.

Déménagement en Bretagne.

La période de crise passée, repise progressive du sport, réadaptation à l’effort, reprise de la marche. Je me lance le défi de faire le « Trail du bout du monde » l’année suivante si j’arrive à re courir.

Je vais mieux, l’équipe de Plouzané cherche une fille pour compléter une équipe de cross pour la saison 2007, me voici licenciée FFA, j’achète des pointes et je fais une saison de cross (dernière année de sénior pour moi). Je me qualifie aux championnats de France et ensuite je dis non au club qui voulait que je fasse les interclubs. Pas de saison de piste pour moi car je voulais faire des trails. 

Avril 2007 1er trail breton : le trail extrême de l’Aber Wrach, puis le 37 km du « Trail du bout du monde ». 

Je m’inscris au Trail des Templiers pour novembre 2007. J’avais encore quelques problèmes de santé régulièrement mais j’arrivais à m’entrainer sans vitesse rapide en gérant au mieux les douleurs et les temps de récupération entre 2 entrainements. Les médecins sur Brest ne savaient pas trop ce que j’avais. Je me sentais plutôt en forme et très motivée par la course des Templiers.

Mi-septembre 2007, mon neurologue me donne les résultats d’une biopsie musculaire faite en juillet et m’annonce que j’ai une myopathie mitochondriale. Il m’interdit de courir. Pour lui, courir est trop dangereux. Il me dit « c’est sérieux, dans10 ans (2017) vous serez probablement en fauteuil ».

Nouvelle période sans sport pendant laquelle je lis beaucoup de choses sur les myopathies, vois des spécialistes du sport et des muscles. 

Avant de partir à la Réunion j’avais été prof de sport à l’hôpital de Garches. J’avais travaillé avec de jeunes myopathes et je restais persuadée qu’il fallait que je refasse du sport pour ne pas fondre musculairement. 

J’ai réussi à reprendre doucement et progressivement avec l’accord des médecins mais avec l’obligation de ne pas me « mettre dans le rouge » et d’être surveillée régulièrement.

J’ai repris doucement en alternant marche, footing lents, vélo elliptique, vélo d’appartement, rameur. Mon garage s’est transformé en salle de sport privée !

Pour me motiver dans cette reprise laborieuse j’ai décidé de faire le Trail de 45 km de Belle Ile pour septembre 2012. Les médecins étaient réticents. Je leur ai dit que j’avais vraiment l’impression de pouvoir courir longtemps sans faire des dégâts si j’allais doucement. J’ai proposé de faire 50 km à allure cool un dimanche sur le côtier et de faire une prise de sang le lundi pour vérifier. Mon médecin du sport a accepté.

Me voici donc partie un dimanche de décembre 2011 à 6h00 du matin de Melon accompagnée par de supers amis, direction Plougonvelin, 50 km plus loin.

Pari gagné, j’avais mon certificat médical pour m’inscrire au Trail de Belle Ile. 

Malheureusement juste après l’inscription j’ai appris en janvier que j’avais un cancer assez agressif. Nouvelle période sans courir, marquée par plusieurs opérations pour retirer plusieurs tumeurs, des complications aux reins dues au traitement.

Durant cette période je me suis dit que si je guérissais je reprendrai les footings et que je ferai un ultra trail.

En 2014 je prenais émue le départ du 80 km de Belle Ile. J’ai terminé en 10 h 04 et j’ai adoré le fait de courir longtemps en prenant le temps de regarder les paysages, de discuter avec les autres coureurs et les bénévoles. Nouveau record de distance pour moi.

Depuis 2014 je prends toujours du plaisir à courir régulièrement avec des périodes d’arrêt fréquentes quand c’est nécessaire.

Je ne peux plus courir vite mais je sais gérer mon effort.

Un suivi régulier chez le kiné et ostéo pour me remettre sur pied est régulièrement nécessaire. 

Je rêve toujours de faire un ultra un jour.

Au Noël 2017 la famille de ma belle-fille m’offre le livre dédicacé « Impossible n’est pas sourd », écrit de 3 coureurs sourds (dont son oncle) qui participent au marathon des sables 2016. Dans ce livre, ces trois traileurs parlent de Denis Clerc, journaliste qui les a parrainés pour ce défi. Je m’intéresse à Denis Clerc appelé aussi « Zinzin reporter » et je découvre plusieurs de ses vidéos filmées au cœur d’ultra trails. J’adore ses vidéos et le personnage.

En 2020 je décide de dépasser les 100 km en m’inscrivant au 104 km de l’Ultra Trail du Puy Mary mais la course est annulée à cause du COVID.

En 2021, j’apprends que « Zinzin reporter » a le projet d’organiser un ultra trail : le Zinzin Ultra Trail, le ZUT dans les Gorges du Tarn. Sans avoir plus d’informations je décide que ce sera mon 1er ultra.

Je vais apprendre ensuite que le ZUT fait 160 km !  Moi je m’attendais à un 100 ou 120 km ! Passer de 80 à 160 km, ça fait beaucoup mais pourquoi pas ?

Puis je m’inquiète un peu car cette course est sans balisage et réalisée uniquement avec le suivi d’une trace GPS ! Mais j’étais trop motivée et ma famille m’offre une nouvelle montre à Noël pour que puisse avoir une fonction navigation.

Je me fais un petit plan d’entrainement progressif et adapté à ce que je peux faire tout au long de l’année.

En juillet 2022 je prends le départ de la première édition du ZUT. Cette course est magique avec une super ambiance familiale et des paysages magnifiques tout au long des 160 km/ 6500 m D+. Je termine en 34 h 01. J’adore le parcours qui consiste à faire le tour du causse Méjean avec une succession de montées bien raides sur le causse, un passage dans l’aven Armand et des descentes bien raides vers les villages situés dans les gorges de la Jonte et du Tarn au pied de magnifiques falaises survolées par des vautours.

1er ultra pour moi et nouveau record de distance. Je découvre aussi que l’allure des ultras me convient très bien.

En 2023 j’enchaine avec le Grand Trail de la Vallée d’Ossau (72km / 4600 m D+ dans les Pyrénées) et le 166 km du Grand Raid du Finistère (4000 m D+) autour de la presqu’île de Crozon.

J’ai aussi adoré le GRF. C’est mon nouveau record de distance. J’étais émue de voir ma famille (mes 2 fils, mon mari, ma sœur et ma mère) en passant la ligne d’arrivée après 27 h 31 de course. C’était une première pour moi d’avoir mon fils Arthur comme pacer sur les 30 derniers km. J’ai adoré ce moment partagé avec lui.

J’aime vraiment les courses longues où il faut gérer son allure, les ravitaillements, jouer avec le terrain pour aller le plus vite possible sans trop se fatiguer. J’aime aussi au cours de ces courses les rencontres avec d’autres coureurs. On peut passer plusieurs heures à parler avec un coureur qu’on ne connaissait pas un jour plus tôt. Et puis il y a l’entraide entre coureurs, la gentillesse des bénévoles, le coucher du soleil, le lever du jour, les portions de silence… C’est magique !

J’aime aussi les mois de préparation où j’essaie de planifier au mieux mon entrainement en fonction de mes possibilités, pour être prête le jour J.



Y a-t-il un athlète breton (ou pas) qui t’inspire ou te motive dans ta pratique du trail ?

Je n’ai pas vraiment d’athlètes bretons qui m’inspirent. Mais il y a de très bons athlètes en Bretagne !

Quel est ton équipement indispensable pour un trail en Bretagne et pourquoi ?

Etant sensible au niveau des tendons d’Achille je ne peux pas courir si je n’ai pas ma paire de chaussures de footing avec mes semelles dedans.

Quel est ton plat Breton préféré et qu’est-ce que tu rêves de manger à l’arrivée d’une course ?

La spécialité bretonne qui me ferait le plus envie à l’arrivée d’une course serait un far breton nature ou aux pruneaux bien épais et bien frais. 

A l’arrivée j’aime bien manger des fruits : banane pomme orange…et je suis capable d’en manger beaucoup !

Est-ce que tu as une chanson ou un groupe breton que tu écoutes pour te motiver pendant tes entraînements ou avant une course ?

Je n’écoute pas de musique en courant.

Quel est le plus beau paysage que tu as découvert en courant en Bretagne ?

Quand je suis arrivée en Bretagne en 2006 j’ai tout de suite aimé courir sur le chemin côtier. 

Sur le GRF j’ai particulièrement aimé les paysages entre le cap de la Chèvre et Morgat.

J’aime bien aussi les paysages du 57 km du trail du Bout du monde, ceux du trail de Belle île.

As-tu des superstitions ou des rituels avant une course ? Un petit grigri peut-être ?

Je n’en ai pas.

Quel a été le défi le plus difficile que tu as relevé lors d’un trail en Bretagne ou ailleurs ?

L’idée de réaliser le parcours de 160 km du ZUT avec un repérage à la montre était un vrai défi pour moi qui suis vraiment nulle en orientation. Et lors de mon inscription je n’avais jamais testé ce genre de guidage.

Lors de ce trail Je me suis un peu perdue et j’ai fait quelques détours mais finalement ça s’est bien passé.

J’avais moins d’appréhension de refaire un parcours avec un guidage à la montre pour le GRF.

Peux-tu partager avec nous le moment le plus drôle ou le plus insolite que tu as vécu pendant une course ?

En 2007 au trail de l’aber Wrach, pour mon premier trail breton je ne savais pas courir dans la boue et j’avais des chaussures avec une semelle assez lisse ! 

Je me suis battue avec une autre fille pour la première place sur les 8/10 derniers kilomètres et je suis tombée au moins 8 fois dans la boue en faisant de jolis vols planés. J’ai finalement passé la ligne d’arrivée en tête mais couverte de boue : devant, derrière, sur les côtés, sur le visage les cheveux. La semaine suivante j’allais m’acheter des chaussures plus adaptées.

Petite anecdote : De nombreuses années après j’ai refait un podium sur une autre course de ce trail et la personne qui m’a accueillie sur le podium se rappelait encore de mon nom et surtout de mon état à l’arrivée en 2007 !

Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui souhaite se lancer dans le trail ?

Courir à son rythme sans se mettre dans le rouge, être attentif à ses sensations, marcher si besoin et reprendre la course après, marcher dans les côtes.

Augmenter progressivement la durée des sorties.

Essayer de courir régulièrement même sur une durée courte.

Noter ses entrainements (durée, parcours, ressenti), se fixer des petits objectifs accessibles chaque semaine.

Trouver des amis pour faire des sorties ensemble en papotant.

Où te vois-tu dans cinq ans ? Quel trail que tu n’as pas fait te fait rêver ?

Dans 5 ans je serai M5, j’aimerais encore pouvoir courir évidemment et si je peux encore prendre du plaisir à participer à de jolis ultra trails à allure cool ce serait vraiment top !

La Réunion me tenterait bien comme beaucoup de coureurs, mais je ne pense pas y participer un jour. J’y ai vécu avec mes enfants. Nous en gardons tous de merveilleux souvenirs et toute ma famille aimerait y retourner pour des vacances. Le rêve serait donc d’y aller avec les enfants, beaux-enfants, petite fille… mais ce serait un trop gros budget. 

D’autres courses conviviales et à taille humaine dans les Alpes pourraient me faire plaisir (trail de Serre Ponçon, …) et, pour avoir fait la Grande Traversée du Jura en VTT et des randonnées à ski de fond je ferais bien un trail dans le Jura également. J’aimerais chercher aussi du côté de l’Europe du Nord. 

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